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Le blog de la Gauche du Réel à Maisons-Alfort
9 novembre 2010

les noeuds gordiens par Pierre Moscovici

Le Parti socialiste, après l’apogée du mouvement social contre la réforme des retraites, aborde la ligne droite, décisive, de la préparation des élections de 2012. Il semble porté par les sondages, qui appellent à l’alternance, il est présent dans le mouvement social, qui rejette massivement la réforme des retraites, il élabore progressivement ses propositions. Mais où en est-il réellement ? Nul n’ignore les convulsions qu’il a connues avant et après le Congrès de Reims, au lendemain de sa troisième défaite consécutive lors des élections présidentielles de 2007. Et chacun sait qu’il lui reste encore à trancher des questions importantes, voire fondamentales, à commencer par celle de son leadership en vue de l’élection présidentielle. Quelques semaines après la tenue de notre convention nationale sur l’international et sur l’Europe, animée par Laurent Fabius, et avant l’ouverture du débat sur l’égalité réelle, confié à Benoît Hamon, il est toutefois possible de faire un bilan d’étape du travail entrepris depuis deux ans pour préparer notre offre politique.

Le jugement commun oppose deux écoles. La parole officielle, très critique de la période antérieure, pendant laquelle François Hollande dirigeait le Parti au nom d’une large synthèse, autour d’une majorité composite mais confortable, a un mot d’ordre, répété en boucle : « le Parti s’est remis au travail » – travail qu’il aurait, bien sûr, perdu de vue.. Les détracteurs de l’équipe en place, et il y en a, disent au contraire que rien n’avance, et que le Parti socialiste, en réalité, a encore beaucoup à faire pour se préparer aux responsabilités qu’il a le devoir de briguer. Ma force et mon inconfort sont de n’être ni un béni-oui-oui, ni un opposant à la direction nationale du Parti socialiste : je n’ai pas rejoint le Secrétariat national dans des fonctions permanentes, mais j’ai accepté – et j’accepterais à nouveau si on me le demandait – des missions, comme l’animation de la Convention nationale sur le nouveau modèle de développement économique, social, écologique, que m’a confiée Martine Aubry. Je reste ce que j’ai toujours été, un militant fidèle à mon parti, disponible pour ses adhérents et ses élus – je le montre en multipliant les déplacements pour les « fêtes de la Rose », les débats, les réunions électorales dans nos fédérations ou auprès de nos candidats – loyal à l’égard de ses dirigeants, mais libre de sa parole et de sa pensée.

Cette position singulière me permet une appréciation plus équilibrée, et du coup peut-être plus réaliste. Le Parti socialiste, avec son agenda de Conventions nationales, reprend une démarche d’élaboration fondamentale, comparable à celle que nous avions entreprise autour de Lionel Jospin dans les 1995/1997, dont le succès nous avait permis d’être prêts à gouverner lorsque Jacques Chirac, sur le conseil assassin de Dominique de Villepin, avait pris la décision baroque de dissoudre l’Assemblée nationale. Incontestablement, les dix dernières années ont été, de ce point de vue, un peu stériles, même s’il est vrai que le Parti fut, pendant le gouvernement de la gauche plurielle, réduit à la position d’un relais, efficace au demeurant, ou d’un porte-parole collectif, plutôt talentueux, puis pendant les cinq années suivantes dévoré par la question, jamais tranchée, de la succession de François Mitterrand et Lionel Jospin comme leader légitime. Lors du Congrès de Reims, j’avais, dans la contribution « Besoin de gauche », recommandé, avec mes amis, que nous nous dotions d’un tel programme de travail. Son existence même, la création de groupes ad hoc, la délibération des textes par nos instances puis leur vote par les adhérents constituent un progrès en soi. Et ces Conventions nous fournissent des éléments utiles de positions, de propositions, de réflexions.

Si je conçois que la direction ait cherché et cherche encore l’adoption unanime des textes de base, je regrette qu’elle n’ait pas accepté l’ouverture d’options ou les dépôts d’amendements alternatifs, qui auraient permis le débat contradictoire des socialistes, que leur diversité appelle

Pour autant, le résultat de ces travaux et le processus de leur élaboration sont-ils pleinement aboutis ? A mi-parcours du programme de Conventions lancées par Martine Aubry – sur le fond, deux se sont tenues, portant sur le nouveau modèle de développement et sur les questions internationales, deux restent à venir, sur l’égalité réelle et sur la cohérence programmatique, auxquelles s’ajoutent nos décisions sur sur la rénovation du Parti et les primaires – on peut me semble-t-il, à côté de progrès tangibles, identifier trois imperfections ou lacunes. La première réside dans l’opacité excessive, et au demeurant croissante, de la procédure. La première Convention, dont j’ai été chargé, a été entourée d’un grand formalisme, finalement utile : plusieurs réunions du Bureau national y ont été consacrés, un Comité de pilotage s’est réuni régulièrement sous ma présidence, les travaux des ateliers, dont la composition fut transparente et pluraliste, ont été rendus publics et, sur mon insistance, mis en ligne sur Internet et via la Coopol. Les Conventions suivantes ont été préparées dans des lieux plus confinés. Je persiste à penser qu’il s’agit là d’un recul : la créativité naît de la confrontation des points de vue. En outre, les délais laissés aux militants pour débattre ont été extrêmement brefs, et la diversité des opinions trop réduite. Je suis, comme tout socialiste responsable, partisan de l’unité, et me méfie des oppositions forcées, nées de positionnements et créatrices de divisions stériles. Mais je connais aussi notre véritable pluralisme intellectuel et politique, et suis persuadé de la nécessité absolue de clarifier certaines questions, d’opérer certains choix par des votes. C’est pourquoi, si je conçois que la direction ait cherché et cherche encore l’adoption unanime des textes de base, je regrette qu’elle n’ait pas accepté l’ouverture d’options ou les dépôts d’amendements alternatifs, qui auraient permis le débat contradictoire des socialistes, que leur diversité appelle. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que l’intérêt pour ces discussions et la participation aux votes aient été faibles, plus que cela n’aurait dû être le cas. Je souhaite que, pour les deux Conventions restantes, les débats s’ouvrent et s’animent davantage. C’est, à mon sens, une condition sine qua non pour la réussite du processus.

Reste une question essentielle, qui surpasse toutes les autres : ces travaux rendent-ils le Parti socialiste d’ores et déjà crédible ? Ils marquent, je l’ai dit, et suis heureux d’y avoir contribué, un progrès incontestable. Le matériau élaboré est abondant, souvent de qualité, il fournit des bases solides à l’élaboration programmatique. De même, la préparation de nos propositions sur les retraites, a été sérieuse et réaliste. Et les contributions de nos groupes parlementaires sont très consistantes. Le travail entrepris est utile, précieux à certains égards, il garnit la « boîte à outils » du Parti socialiste et de son candidat, quel qu’il soit, en 2012. Il n’est toutefois pas totalement concluant, ni conclusif. D’abord parce que la synthèse, positive pour le climat politique, a ses travers et son revers : elle juxtapose des positions complémentaires voire contradictoires, ne permet pas de dégager une vision ou au dessein nettement assurés. J’ai ainsi exprimé, discrètement mais fermement, mes réserves sur certains aspects de notre texte international. Il restera demain, qu’il s’agisse par exemple de l’économie ou de l’Europe, bien des questions à trancher : la réduction de la dette publique est-elle un impératif ? Comment y parvenir, par quels choix d’investissements, par quelle approche des dépenses publiques, par quelles options fiscales ? Quel doit être le périmètre du secteur public ? Quels rapports avec l’entreprise ? Quel soutien à l’innovation ? Quelle approche de l’élargissement de l’Union, de la relation avec la Turquie ? Quelle conception de l’Europe politique ? Quelle attitude à adopter face à l’Iran ? Poser ces débats n’est ni ringard, ni artificiel, ce n’est pas faire oeuvre de conservatisme ou chercher la division, c’est être, tout simplement, en quête de responsabilité et de vérité. Je ne doute pas que la Convention sur l’égalité réelle suscitera des discussions, à la fois sur le fond des propositions, sur leur hiérarchisation et sur la sélectivité de la démarche dans un contexte budgétaire très tendu. « Besoin de gauche » y contribuera : il s’agit en effet là d’un sujet que nous avons largement contribué à défricher, avec Dominique Strauss-Kahn, dans le cadre de « Socialisme et démocratie » ou d’ « A gauche en Europe » au début des années 2000. Nos thèses, j’en suis persuadé, ont sans doute besoin d’être actualisées : elles n’ont pas vieilli.

Nous ne tranchons pas tous les nœuds gordiens dont nous devons nous délivrer pour faire plus que gagner les élections : bien diriger et transformer un pays en crise

Nous préparons collectivement l’alternance, nous améliorons notre offre politique, dans un climat unitaire qu’attendent les militants et les Français de gauche, Mais nous ne tranchons pas tous les nœuds gordiens dont nous devons nous délivrer pour faire plus que gagner les élections : bien diriger et transformer un pays en crise. C’est pourquoi les primaires ne seront pas un sondage géant ni même seulement le choix d’une personnalité emblématique, mais aussi et d’abord celui d’une cohérence politique et d’une conception de la gouvernance du pays. La mienne est et restera cette sociale-démocratie du XXIème siècle ouverte, européenne, ambitieuse et crédible, pour laquelle je me bats. Elle mérite, convenez-en, d’être défendue.

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