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Le blog de la Gauche du Réel à Maisons-Alfort
5 juin 2007

pour un nouveau système de production industrielle

Pour un nouveau système de production industrielle, par Dominique Mennesson

A l’origine  du « lean manufacturing », ou production allégée, une philosophie positive pour l’individu :

Le Lean Manufacturing que l’on pourrait traduire par « système de production allégé », n’est pas bien connu du public malgré son influence fondamentale sur notre vie quotidienne, notamment lorsqu’on évoque les délocalisations. Les origines du Lean Manufacturing remontent à la seconde guerre mondiale lorsqu’une école de pensée américaine a développé le concept de l’analyse de la valeur. Il s’agissait de valoriser la contribution de chaque composant d’un produit en fonction de la satisfaction des différents besoin de son utilisateur. L’analyse de ces valorisations permettait de supprimer ou de dimensionner au minimum les constituants qui n’avaient pas de valeur ajouté pour l’utilisateur, et donc d’en faciliter la fabrication. Les avantages évidents en termes de réduction de la consommation de matières premières et de baisse des coûts de fabrication ont assuré la promotion de cette méthodologie de conception des produits dans le monde entier. Elle restera à jamais symbolisée par les péniches de débarquement du 6 juin 1944.

La méthode de l’analyse de la valeur a été reprise après guerre par l’industrie japonaise, en l’appliquant cette fois si dans le domaine de la production. Le principe reste identique : supprimer tout ce qui ne sert pas à la satisfaction du client final. En analysant un flux de production, on s’aperçoit que de nombreuses opérations n’apportent pas de valeur ajoutée pour le client final, comme par exemple les opérations de stockage ou de contrôle. L’idée maîtresse est donc de réorganiser les flux de composants pour qu’ils soient continus, sans stockage intermédiaire. Ceci a donc pour corollaire la nécessité de maîtriser parfaitement la production, aussi bien en quantité qu’en qualité : on parle de production « Juste à Temps » (Kanban en japonais). A cette condition, d’importantes économies peuvent être réalisées sur les surfaces de productions et les stocks intermédiaires. Il n’est pas étonnant de retrouver la pointe de cette méthodologie au Japon, où l’industrie manque de place, le personnel discipliné et le développement commercial basé sur la qualité de fabrication.

Une extension géographique et catégorielle :

Cette philosophie de frugalité dans la conception et la production de biens manufacturés a été réimportée aux Etats-Unis sous le nom de « Lean Manufacturing » et diffusée dans le monde entier. Dans ce concept, de nouveaux outils ont été développés de nouveaux outils d’analyse : tout ce qui ne rentre pas directement dans la création de valeur ajoutée pour le client est qualifié de gaspillage. Il s’agit donc de toujours faire plus pour le client en utilisant de moins en moins de ressources en matières et en hommes. De la conception à la vente en passant par la production, la logistique, l’après-vente ou le marketing, chaque opération est disséquée, allégée, comprimée. Le développement des techniques d’automatisation, de communication et de transport va donner une formidable accélération à ce mouvement. Valorisée par sa contribution à la satisfaction du client final et dévalorisée par son coût, chaque opération du processus qui conduit à la vente d’un produit va être séparée et réalisée dans des conditions optimisées selon ces critères. Ainsi, une chaussure Nike peut être conçue à Atlanta, ses composants fabriqués dans différentes usines de Chine ou de Corée, son assemblage fait au Maroc, son marketing dans chaque pays de commercialisation tandis que la comptabilité se fait en Inde et le Call center ou SAV en Irlande. C’est ce mouvement général de morcellement du processus de production que nous vivons au quotidien, subrepticement et inexorablement, au nom de la rentabilité financière. Cette nouvelle taylorisation des tâches et cette nouvelle « spécialisation » des process de production à la  Ricardo rencontrent toutefois des limites, géographiques, sociales, culturelles et, même au final, économiques. Géographiques parce que l’on ne peut délocaliser indéfiniment, sociales parce que la casse en termes d’effectifs est réelle, culturelles parce que le sous-traitant ne connaît pas le client final et économiques parce que ce système au final n’apporte pas la rentabilité voulue, la coordination d’ensemble devenant extrêmement complexe (voir le problème rencontré par Airbus pour le nouvel avion en terme de délais de livraison).

Un glissement sémantique qui n’est pas anodin :

En passant de l’analyse de la valeur du produit à la valeur ajoutée vue par le client, c’est toute une perception de la réalité productive qui est modifiée. Il ne s’agit plus de mettre de l’intelligence dans la conception du produit et de ses moyens de production, mais de faire baisser le coût de la production de valeur ajoutée, en supprimant tout ce qui n’est pas visible par le client ou en baissant le coût horaire du travail. En pratique, les entreprises « s’allègent » (on dit aussi « externalisent » ou « outsourcent ») de toutes les activités jugées non-stratégiques. Comptabilité, entretien, composants sont sous-traités. Ceci engendre un immense mouvement de concentration et d’automatisation de certaines activités non-visibles pour le client final comme la production de matières premières ou de composants.  Mais aussi un transfert de ces activités vers les pays à bas coûts (voir exemple cité plus haut), toujours au nom de l’amélioration de la satisfaction du client final qui voit en théorie donc chaque année une baisse de 3 à 5% du prix des produits manufacturés.

Une destruction de valeur(s) qui se fait en silence :

La théorie centrale de la satisfaction du client final par la valeur ajoutée visible a pour conséquence de ne plus voir d’autres valeurs pourtant indispensables à l’entreprise. Tout d’abord ses employés. Le développement des compétences et de l’épanouissement des employés, au cœur de la stratégie de compétitivité des entreprises du début du XXième siècle a disparu. Alors que pourtant l’accélération de l’évolution des technologies plaide pour une grande place donnée à l’apprentissage des savoirs. L’employé ambassadeur commercial du produit (dont il est) fier de contribuer à la fabrication a disparu du fait du morcellement du processus de fabrication. A l’heure d’une compétition acharnée entre produits si proches, c’est une perte de richesses qui n’a pas été suffisamment évaluée. La perte de parts de marchés des constructeurs automobiles sur leur marché national, ou la croissance spectaculaire des ventes de Toyota en France depuis sont implantation industrielle à Valenciennes sont pourtant là pour nous le dire. Enfin, à force de tout centrer sur le client final, des activités qui lui sont invisibles ne sont pas développées, alors qu’elles sont créatrices de richesses en termes d’emploi ou d’environnement. La valorisation des déchets d’un site industriel ou la cogénération (fabrication d’électricité et chauffage en une seule opération) pour produire sa propre énergie en sont des exemples, tout comme le développement de crèches d’entreprises.

Un nouveau rôle pour la puissance publique :

Etre social-démocrate, c’est penser que la puissance publique doit stimuler la production de richesses durables pour financer les prestations sociales visant à l’égalité réelle des chances et à l’émancipation des citoyens.

L’écart grandissant entre le besoin de compétences nécessaires au développement économique des nouvelles technologies et le désengagement des entreprises dans le développement des savoirs implique de renforcer et de moderniser le rôle de l’état dans la formation continue tout au long de la vie. La taxe professionnelle et les modalités de décisions de formations des salariés ne sont plus adaptées aux conditions actuelles de compétitivité des activités. Il est désespérant de voir des salariés qui après des dizaines d’années de travail se retrouvent au chômage sans avoir bénéficié de formations qui auraient pu leur ouvrir de nouvelles perspectives d’emploi, tandis que leur employeur a consciencieusement payé la taxe professionnelle sans les autoriser à en bénéficier des fruits. L’individu étant de moins en moins maître de son emploi, il doit pouvoir reprendre de son autonomie en étant maître de l’évolution de ses savoirs.

Certes, la puissance publique n’a pas pour vocation première à indiquer aux entreprises les possibilités de création de richesses dans des activités non-stratégiques pour elles. Mais plusieurs axes sont nécessaires et possibles, comme nous le montrent certaines expériences étrangères. Le premier axe concerne la recherche dans les universités et l’analyse de la situation et de ses perspectives dans les bassins d’emplois, tant sur le plan économique que social ou environnemental. Le second axe concerne l’investissement pour la création de nouvelles activités. Il rentre dans la sphère de compétence de la puissance publique le fait de contribuer par des prêts au développement de nouvelles activités, de participer à l’émergence d’activités pilotes qui ne rentrent pas dans les plans stratégiques d’entreprises traditionnelles. Aujourd’hui, plus de soixante millions d’euros sont utilisés pour financer le maintien d’activités dont aucune étude ne mesure l’impact sur la pérennité des emplois. Il semblerait plus productif de consacrer une part de ce budget au financement du démarrage de nouvelles activités (le premier axe) sur la base d’une vision éclairée (le second axe).

Le Lean Manufacturing a bouleversé les clivages. D’une lutte des classes, nous sommes passés à un nouveau clivage qui touche toutes les couches sociales  : il y a ceux qui accèdent à, ou se créent un emploi, et ceux qui restent en dehors de la production de richesses.

Forts de ces constats, l’ambition de la social-démocratie est de moderniser les outils de la puissance publique pour rétablir durablement l’équité du partage des richesses.

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