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Le blog de la Gauche du Réel à Maisons-Alfort
16 janvier 2009

Sur la délinquance aujourd'hui

La délinquance en France :

du mauvais usage de la dissuasion à l’illusion du tout répressif

Les chiffres de la criminalité observés sur des temps longs montrent deux évolutions significatives :

·                    Une criminalité globale qui a très fortement augmenté dans les années 1970 et 1980, et qui stagne depuis. La France, avec un taux de criminalité d’environ 60‰, est à la charnière entre les pays d’Europe du nord (Royaume-Uni, Pays-Bas, Danemark, etc…) où les taux de criminalité sont plus élevés, et les pays du sud (Italie, Espagne, Grèce,…) où les taux sont plus bas.   

·                    Une structure de la criminalité qui suit des tendances longues et ininterrompues marquées par une diminution de la délinquance de voie publique (vol et infractions), et une augmentation des atteintes aux personnes. Ces dernières ont presque été multipliées par 4 en 30 ans, passant de 100000 délits en 1980 à 387000 en 2007. Les différents ministres de l’intérieur qui se sont succédés pendant cette période n’ont jamais eu d’influence significative sur cette tendance.

La délinquance est structurellement hétérogène dans sa composante géographique et sociale. Le taux de criminalité varie selon les secteurs d’un facteur 1 à 7. La structure de la criminalité varie dans l’espace urbain, les vols et infractions étant plutôt présents dans les centre-villes, tandis que les atteintes contre les personnes et les dégradations sont plus présents dans les zones périphériques des villes. Les hommes, les jeunes, et les immigrés sont surreprésentés dans les statistiques criminelles. On peut estimer le taux de criminalité des 12-18 ans à environ 100‰. Ce taux élevé, associé aux craintes traditionnelles qu’engendre la jeunesse dans la société et à la spécificité de la justice des mineurs, font se focaliser le débat sur la délinquance juvénile. Les enquêtes de victimisation font elles aussi apparaître de fortes disparités : la précarisation sociale (femmes seules, personnes âgées à faible revenu, population vivant dans des zones urbaines dégradées) est un facteur important d’augmentation du sentiment d’insécurité.

               L’orientation politique de la prévention de la délinquance est aujourd‘hui à l’augmentation de la prévisibilité des délits, à travers trois composantes : l’aménagement de l’espace urbain pour limiter la criminalité, l’augmentation de la certitude de la punition, et l’identification précoce des comportements suspects. Cette orientation peut être questionnée dans la mesure où elle ne traite pas le problème de fond de la délinquance, qui est l’absence de mise en capacité des individus pour une insertion active dans la société.

Du mauvais usage de la dissuasion

                La notion de dissuasion est intrinsèquement complexe. Trois conditions doivent être réunies pour qu’un acte délictueux ait lieu : un délinquant prêt à passer à l’acte, un acte tentant et une absence de dissuasion. La dissuasion peut être elle-même de deux natures différentes : celle basée sur l’entourage du criminel et celle basée sur la protection de l’objet du délit ou de la victime. La nature délinquante d’un individu et sa propension à passer à l’acte sont du ressort d’une politique de prévention, faisant appel à de nombreux acteurs sociaux. En revanche, la dissuasion basée sur la protection d’un objet ou d’une victime potentielle est du ressort de la police et de la justice. Le présupposé politique actuel selon lequel la certitude d’une punition grave est susceptible de limiter le passage à l’acte est discuté. Il repose sur l’idée d’un comportement rationnel du délinquant. Cette hypothèse a été largement remise en cause lors d’évènements récents. Ainsi, une analyse partagée par de nombreux observateurs lors des émeutes de

2005 a

été que les actes de violence commis ne répondaient à aucune rationalité, notamment lorsqu’il s’agissait de détruire le peu d’infrastructures dont bénéficiaient les émeutiers et leurs familles. D’autre part, les délinquants jeunes des quartiers défavorisés, s’ils agissent à partir d’un corpus de règles, sont parfois plus sensibles aux lois intrinsèques à la cité, qui sont parfois en totale opposition avec les règles républicaines. Ils ne côtoient les règles communes qu’épisodiquement lors de contacts avec la police ou la justice. Il est donc questionnable de penser que le droit républicain puisse avoir une prise sur leur action.

                L’impunité présupposée des jeunes délinquants est une question importante. Le sentiment d’impunité est relayé par certains pratiquants de la délinquance, notamment une partie des forces de police. Il s’appuie sur le fait que le droit français (depuis l’ordonnance de 1945, et malgré la trentaine de modifications qui l’ont désormais fait bien dévier de son objectif initial) fait de la justice des mineurs une exception au droit commun, qui tend à limiter les solutions pénales dures au profit des efforts d’intégration sociale. Cette impunité présumée est largement portée par les politiques (en premier lieu Sarkozy), qui trouvent à bon compte un moyen de communication orienté vers le ressenti du public, jugé efficace d’un point vue électoral. De fait, les médias puis l’opinion relaient largement le lieu commun de l’impunité envers les mineurs délinquants, avec un effet délétère certain, y compris vis-à-vis des délinquants eux même. Mais ce sentiment est nié par une majorité des magistrats, qui avancent des chiffres significatifs (par exemple, un taux de réponse judiciaire de 84% à la délinquance juvénile), qui pointent le fait que l’efficacité policière est éminemment discutable (seuls 30% des crimes globaux sont élucidés, et ce pourcentage évolue faiblement en tendance longue), et qui soulignent surtout l’absence de moyens pour mettre en œuvre des sanctions alternatives à l’enfermement.

                La dissuasion dite moderne, enfin, repose sur des moyens qui sont au mieux des remèdes partiels au problème de la délinquance, au pire des solutions inefficaces.  En écho à la demande citoyenne de sécurité, le ressenti vis-à-vis de la vidéo-protection a brusquement changé ces dernières années, en passant d’une méfiance commune à une acceptation généralisée par la population. Un récent rapport de l’INHES sur le sujet ne tranchait pas le status quo concernant la méthode : « Rien n’étaye aujourd’hui ni l’efficacité ni l’inefficacité globale de la vidéo protection ». La technique, en tout état de cause, n’est qu’un moyen de consolider un dispositif global de protection, en aucun cas une finalité, contrairement à ce qui est affiché par l’actuel ministre de l’intérieur qui fixe des objectifs chiffrés. L’effet « plumeau » consistant à déplacer la criminalité hors des zones vidéo-surveillées reste patent. Ce problème est d’autant plus grave que les responsables locaux utilisent le plus souvent la vidéo-surveillance à des fins de maintien de l’ordre dans les zones les plus fréquentées des communes (les centre-villes et les zones touristiques) au détriment de la sécurisation des zones les plus vulnérables. La vidéo surveillance a montré un réel intérêt dans l’élucidation des affaires de délinquance, et se trouve être un facilitateur de la gestion policière et judiciaire des délits. Son intérêt dans la prévention de la délinquance n’est en revanche nullement avéré. Or le déploiement humain d’effectifs policiers, d’une efficacité identique du point de vue du sentiment d’insécurité vécu par le public, se trouve être plus efficace vis-à-vis de la dissuasion criminelle. Ce constat justifie pleinement le maintien d’une police de proximité, vouée à la pratique de l’ilotage et qui permet, par sa présence à la fois permanente et mobile,  de pérenniser la présence de l’ordre républicain dans tout le territoire. Les polices municipales, qui représentent aujourd’hui 10% environ des forces totales de police, pourraient jouer ce rôle de proximité. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, à l’instar d’Avignon où la police municipale est cantonnée, à des heures où la criminalité est la moins forte, dans des zones où elles jouent plus un rôle d’affichage; au lieu d’exercer une réelle dissuasion dans des quartiers plus criminogènes où la présence de l’état républicain est de moins en moins visible.   

L’illusion du tout répressif

                L’exemple du discours sur la récidive, relayé par la majorité actuelle, et qui ne s’appuie en réalité sur aucune statistique significative (le taux de prévenus récidiviste dans les tribunaux est stable depuis plusieurs années), illustre la manière dont le pouvoir laisse entendre qu’il s’occupe des problèmes de sécurité : les méthodes de court terme et les annonces tapageuses (comme l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans), le tout répressif, frappent l’opinion mais l’histoire contemporaine est loin d’en avoir montré le bien fondé. L’augmentation massive du nombre des détenus (+20% pour la population générale en 5 ans, doublement du nombre de mineurs incarcérés ces dernières années) n’est pas un gage de diminution de la criminalité. Une préférence budgétaire pour les solutions d’enfermement se fait au détriment des autres options de prévention : le coût de l’enfermement d’un mineur est de 800€ par jour, et le nombre de places récemment mises à disposition est limité (450), mais le coût global est significatif dans le budget de la justice (130 millions d’euros annuels). Des responsables de la sécurité publique soulignent certes l’impact de la disparition d’un ou deux individus meneurs dans la tranquillité d’une zone urbaine. Il n’empêche que ces solutions extrêmes ne sont qu’une face visible dans l’immense iceberg de la délinquance. 

                Le choix de la judiciarisation de toutes les incivilités, s’il va dans le sens de l’opinion occidentale moderne, est lui aussi discutable. Il est extrêmement coûteux puisqu’il exacerbe la réponse procédurale. Il met le juge en prévalence vis-à-vis des autres acteurs sociaux, notamment les responsables de la prévention ; à ce titre, il multiplie les situations d’identification des individus dans des statuts de victimes et de coupables, au détriment de toute autre forme de lien social entre les citoyens. On obère en conséquence la liberté qui permet à l’individu de définir son rôle sociétal spécifique. La réponse punitive affecte aussi les parents, la France s’étant mis tardivement à l’idée (y compris à gauche avec les propositions de l’ex candidate PS à la présidentielle) que la coercition des parents pouvait avoir un effet sur la délinquance de leurs enfants. Les contrats de responsabilité parentale (2006) avec le risque de mise sous tutelle des allocations familiales, et les stages obligatoires de responsabilité parentale (2007) sont la forme française de ce mode d’action. Ces mesures, jusqu’alors non mises en œuvre, restent largement symboliques. Les exemples, anglo-saxons notamment, font quant à eux le constat de leur inefficacité.

               A propos de l’enfermement, deux paradoxes sont en outre largement soulignés. Le premier découle de l’idée précédente : quant la lutte contre la délinquance reviendrait à mieux installer les populations sensibles dans la société, la mise à l’écart et l’enfermement en prison au sein d’une population par définition exclusivement criminelle rend le remède notoirement inefficace vis-à-vis du symptôme. Il ne fait par ailleurs que décaler le besoin de prise en charge de l’individu pour l’aider dans sa réinsertion, l’état actuel des prisons françaises ne leur permettant pas d’exercer correctement ce rôle. Vis-à-vis spécifiquement de la délinquance des mineurs, l’abaissement de la majorité pénale, la mise en place des peines plancher, et la multiplication des solutions d’enfermement vont dans le sens d’une acceptation grandissante par la société de la responsabilité des mineurs délinquants. Paradoxalement, les études sociologiques actuelles convergent dans l’idée que l’adolescence se prolonge jusqu’à bien après la majorité civique, du fait du rallongement des études, de la difficulté de l’acquisition de la liberté dans le monde moderne, etc… On met donc le mineur délinquant dans une situation à part, où l’on nierait son statut d’adolescent commun, pour lui conférer une responsabilité qu’il maîtrise pourtant encore moins qu’un autre, du fait de son manque d’intégration sociale. On voit ici le danger de la convergence de cette idée avec celle avancée récemment par certains élus de droite sur l’identification ultra-précoce des délinquants potentiels.

    

Quelles orientations pour la politique contre la délinquance ?

                Plusieurs acteurs sociaux confrontés à la délinquance (juges, policiers, éducateurs) soulignent la relative inefficacité des actions de masse, destinées à des objets mal définis. A ce titre, la migration des actions destinées aux territoires vers des mesures spécifiques destinées aux individus apparaît légitime. On pourra faire ici le parallèle avec les mesures destinées à lutter contre la pauvreté : cibler les territoires est aussi un bon moyen pour les stigmatiser et en retirer les couches les plus équilibrantes de leur population. Au contraire, limiter dans ces territoires l’extrême pauvreté ou la délinquance la plus violente est un moyen de limiter la répulsion qu’inspirent ces territoires aux classes moyennes. La justification sous-jacente à cette orientation de politique ciblée sur les individus est que leur responsabilisation vis-à-vis de leurs droits et devoirs sociaux se fait avant tout par une appropriation consciente, donc forcément individuelle, de la liberté dans l’état de droit. Le contrôle social de cette liberté individuelle passe par ailleurs nécessairement par une augmentation de la présence républicaine (police, école, services publics) dans les territoires criminogènes, ce qui à son tour demande une meilleure intégration des populations issues de ces territoires, en fonction de leurs moyens propres, dans le réseau social. Des enquêtes outre-rhin montrent que, toute chose égale par ailleurs, le taux de délinquance dans les zones sensible est d’autant plus faible que la réussite scolaire y est élevée. L’expérience française de facilitation d’accès, pour les meilleurs individus scolarisés en zones difficiles, aux fleurons des établissements d’enseignement supérieur est un gage, même symbolique, d’une possibilité de réussite dans ces territoires. Lutter contre le déterminisme social reste un enjeu majeur, que ne peut relever que la gauche.

                Malgré les cris d’alarmes, largement relayés par les médias, du préfet de Seine Saint Denis un an après les émeutes urbaines de 2005, et le non moins médiatique « Plan Banlieue » annoncé par le président de la République mais qui n’a jamais été mis en oeuvre, la situation dans certains territoires périphériques des grandes villes s’est détériorée ces dernières années. Comme souligné par l’éditorial de la revue Esprit consacré en novembre 2006 à l’anniversaire des émeutes, « acheter ou imposer la pacification des banlieues sans contrepartie politique est un leurre qui ne peut que conduire à une surenchère ». L’initiative de redécoupage électoral prise par le gouvernement, si elle se traduit par une meilleure représentation politique des zones urbaines sensibles, est une bonne chose. De même que la timide insertion de jeunes issus de l’immigration dans les partis politiques. Si le parti socialiste n’est plus un parti populaire mais qu’il tient à le redevenir, ne doit il pas aller chercher dans les zones populaires ses militants et ses revendications? Certains observateurs soulignent que les territoires défavorisés, bien loin du communautarisme décrié dans les médias populaires, sont apolitisés ; en témoigne l’absence flagrante de revendication politique dans les émeutes urbaines de 2005. Si le repliement religieux communautariste reste minoritaire, l’entre soi communautaire devient la règle. Et l’on ne peut dénoncer que les territoires s’autorégule (y compris en éloignant le droit républicain) en favorisant par des choix politiques l’isolement de ces territoires sans se mordre la queue.

                Plus généralement, la délinquance n’étant pas le fait des seules zones sensibles, certains sociologues soulignent la propension de la société moderne à la délinquance. Profits iniques, obligation du succès matériel et exacerbation des tentations, refus de la contrainte sociale (d’autant plus qu’elle est sans contrepartie) et accroissement des inégalités d’accès aux marchés sont autant de gages de maintien d’un niveau de violence élevé. Une certaine gauche socialiste, en demandant d’arrêter de trouver des excuses aux délinquants, a collé au discours sécuritaire, parfois de manière dure et caricaturale (cf l’exemple des camps militaires) notamment lors de la dernière présidentielle. Elle devra à l’avenir combattre pour le maintien d’une spécificité du droit pénal des mineurs, et s’attaquer à la dérive d’une focalisation sur les aspects de prévision de la délinquance, notamment en revendiquant plus d’intégration républicaine auprès des couches populaires : si la destruction du tissu social est le premier argument pour expliquer l’explosion de la délinquance dans les sociétés modernes, la reconstruction de ce tissu doit être l’objectif d’une vraie prévention.   

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Commentaires
G
Le gouvernement prépare une réforme de la justice des mineurs. Nous sommes un groupe pluridisciplinaire qui voulons témoigner de la complexité de ces questions et peser, avec vous, dans le débat qui va s’ouvrir :<br /> <br /> http://quelfuturpourlesjeunesdelinquants.fr
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