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Le blog de la Gauche du Réel à Maisons-Alfort
18 novembre 2009

Grand emprunt, grande imprudence ! de P. Moscovici

La commission chargée de préparer le «grand emprunt» annoncé par Nicolas Sarkozy, présidée par Alain Juppé et Michel Rocard, s’apprête à rendre ses conclusions, en vérité déjà largement connues: ils proposent un montant limité à 35 milliards d’euros, ne se prononcent pas sur le mode d’émission, et fixent des priorités orientées vers les dépenses d’avenir. Cet emprunt aura donc lieu.

J’y reste pour ma part hostile.

Non que je ne sois pas conscient du besoin impératif d’agir pour tirer l’économie française de son ornière. Le grand emprunt est d’ailleurs en soi un aveu, celui de l’insuffisance, presque de l’inexistence du plan de relance de l’hiver 2008, à la fois d’un montant très faible — 26 milliards d’euros affichés, 8 milliards réels — et profondément déséquilibré — ne comportant aucune mesure pour le pouvoir d’achat des plus fragiles.

Mais l’emprunt est avant tout une fuite en avant. Le pouvoir sous-estime gravement la situation préoccupante des finances publiques françaises. Le déficit de l’Etat est de 140 milliards d’euros en 2009, il sera de 115 milliards d’euros en 2010. Le déficit «structurel» est passé en trois ans de 35 milliards d’euros à 50 milliards d’euros. En découle une explosion de la dette publique, qui est déjà de 1.413 milliards d’euros — 72,9% du PIB — et devrait passer à 1.650 milliards fin 2010 - soit 84% du PIB, la charge des intérêts s’élevant à 42,5 milliards d’euros. Dans le même temps, le déficit des comptes sociaux atteint 24 milliards d’euros en 2009, et devrait s’élever à 30 milliards par an entre 2010 et 2012. La conclusion est claire: nous connaissons la pire dégradation de nos finances depuis 1958.

Ajouter de la dette à la dette

Celle-ci est dûe marginalement au plan de relance, pour beaucoup à la crise, significativement au poids du «paquet fiscal», inefficace et injuste, de l’été 2007, essentiellement à l’état de notre économie et notamment au faible dynamisme de notre appareil productif. Emprunter, dans ces conditions, c’est ajouter de la dette à la dette, avec le risque d’entraîner un «effet boule de neige»: soulignons au passage que les émissions d’emprunt sur les marchés se sont élevés à 275 milliards d’euros en 2009, et sont prévues à hauteur de 212 milliards d’euros en 2010.

Ajoutons à cela deux autres risques: celui de l’injustice, si l’emprunt est contracté auprès du public, favorisant les ménages qui disposent de la capacité d’épargne la plus forte, et celui de l’insincérité budgétaire, s’il n’est qu’un collectif déguisé et une émission supplémentaire sur les marchés, non validés par le Parlement. Cet emprunt aurait, enfin, un impact non négligeable sur un budget de l’Etat déjà asphyxié, accroissant la charge d’intérêts, déjà écrasante, de 5 milliards d’euros en 5 ans. La dette est bien pour moi l’ennemie de la gauche, des services publics, et sur la longue distance, celle de l’avenir.

Dès lors, j’ai la conviction que, si un plan de relance est bel et bien nécessaire, l’emprunt serait, lui, fortement nuisible. Les besoins de l’économie française sont indéniables, et la Commission Juppé-Rocard les a, d’après les éléments qui ont filtrés de ses travaux, bien identifiés. Il s’agit, pour moi, de remédier au sous-investissement structurel de l’économie française, de pallier ses insuffisances en matière d’innovation, d’entreprenariat et de recherche. Les indicateurs sont, à cet égard, très parlants.

Les dépenses affectées à la recherche et au développement ne cessent de baisser en termes relatifs. L’effort de recherche est descendu, en 10 ans, de 2,4% du PIB à 2%, alors que la dette publique ne cessait d’enfler. L’investissement français dans l’enseignement supérieur est largement inférieur à celui consenti par nos voisins. La France dépense 8.000 euros par an et par étudiant, là où les Etats-Unis exposent 21.000 euros, la Suède 15.000 euros, l’Allemagne 11.000 euros. Il s’agit donc de préparer l’éco-industrie de demain.

Un plan de relance de notre appareil productif devrait privilégier 4 orientations :

1) le développement des énergies renouvelables et des industries propres, avec une augmentation substantielle des moyens dévolus à la recherche;
2) les pôles de compétitivité, dont le financement reste modeste car trop éparpillé;
3) les nouveaux projets dans l’innovation industrielle, la recherche, l’enseignement supérieur, qui doit faire l’objet d’une forte priorité;
4) l’investissement dans les voitures électriques, les biotechnologies, les nano-technologies.

Un financement recherchant l’équité et la croissance, sans aggraver la dette, est possible. Il est indispensable de définir une politique budgétaire et fiscale plus soutenable. Pour ce faire, il convient de réfléchir aux économies à effectuer sur la dépense fiscale. Celles-ci ne manquent pas, qu’il s’agisse de la TVA sur la restauration, qui n’a créé que peu d’emplois et n’a entraîné aucune baisse significative des prix, du bouclier fiscal ou des autres dispositions du «paquet fiscal» — baisse de l’impôt sur les successions, heures supplémentaires défiscalisées — ou encore des baisses successives de l’impôt sur le revenu et des «niches fiscales».

Imprudence et incertitude

A cette remise en cause de dépenses fiscales improductives et injustes devra nécessairement s’ajouter une réforme fiscale d’ampleur, passant au premier chef par la création d’un impôt sur le revenu unifié et progressif, fusionnant l’actuel IRPP et la CSG, incluant la PPE et le RSA. Je ne sais pas s’il s’agit là, comme le pense par exemple François Hollande, de la question centrale de 2012, mais c’est sans aucun doute un des problèmes essentiels auxquels nous devons nous attaquer.

En définitive, le grand emprunt m’apparaît à la fois comme une grande imprudence et une grande incertitude. Une grande imprudence, parce qu’il me paraît paradoxal d’aller chercher dans un emprunt de 30 à 50 milliards d’euros les moyens d’investir dans l’avenir, alors que l’Etat emprunte déjà près d’1 milliard d’euros par jour sur les marchés. Une grande incertitude, car le rendement du projet est aléatoire. Comme le dit excellemment le rapporteur général du budget — UMP — de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, Gilles Carrez: «il est illusoire de croire à l’autofinancement du grand emprunt par le surplus de croissance qu’il susciterait». Oui, ce grand emprunt est inopportun. Mais puisqu’il existe, autant en faire le moins mauvais usage possible. Puissent les recommandations de la commission Juppé-Rocard servir

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